Fil d'Ariane
"La séance est levée!" Des mots prononcés par une voix féminine au micro de l'illustre perchoir, et cela pour la toute première fois. Voilà de quoi redonner une légère tonalité de parité à l'Assemblée nationale, qui en avait bien besoin depuis les élections législatives de ce mois de juin 2022, marquées par le premier recul du nombre de femmes élues depuis 1981.
La candidate représentant la majorité présidentielle, a été élue au terme d'une séance de quatre heures, à l'issue du second tour. Elle a obtenu 242 voix face à ses concurrentes Fatiha Kelouha-Achi (de la Nupes, coalition de gauche), qui a récolté 144 voix, Annie Genevard, (ancienne vice-présidente, 60 voix) et Nathalie Bassire (Libertés, Indépendance, Outre-mer et Territoires, 16 voix). Le candidat du Rassemblement national Sébastien Chenu s'était retiré avant le second tour, annonçant l'abstention de l'ensemble du camp RN.
Dans cet Hémicycle où l'histoire s'est tant de fois écrite, nous venons ensemble d'ouvrir un nouveau chapitre. Un chapitre du grand livre de notre vie parlementaire. Un chapitre du grand livre de l’égalité entre les femmes et les hommes. Merci !#DirectAN pic.twitter.com/MWyU7eWdh8
— Yaël BRAUN-PIVET (@YaelBRAUNPIVET) June 28, 2022
Lors de son premier discours, prononcé peu après l'annonce du résultat du vote, ce mardi 28 juin 2022, Yaël Braun-Pivet a tenu à saluer les autres candidates à ce vote, des mots largement applaudis.
"Qu'il est long et sinueux le chemin vers l'égalité entre les hommes et les femmes", a-t-elle lancé. La nouvelle Présidente a tenu à citer un article du quotidien Le Peuple de juin 1889 : "'Une femme a sérieusement posé sa candidature à l'Assemblée nationale!' Cette femme s'appellait Jeanne De Roy, elle avait 44 ans et était journaliste, face aux moqueries, elle avait finalement renoncé et retiré sa candidature". "Il aura fallu attendre octobre 1945 pour que 33 femmes fassent pour la première fois leur entrée au sein de cette assemblée !", a-t-elle poursuivi.
"Nous naissons hommes et femmes libres et égaux en droits", a rappelé la nouvelle Présidente, qui a tenu ensuite à remercier son mari et ses enfants de leur soutien. Et c'est en donnant rendez-vous aux député-e-s mercredi à 15hoo pour la prochaine séance qu'elle a finalement conclu son intervention.
.@YaelBRAUNPIVET prend place au perchoir, et entame son premier discours en tant que présidente : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. En me portant à votre présidence, vous donnez aujourd'hui à ce message une portée nouvelle". https://t.co/5dlA99k5Pn pic.twitter.com/mfbXtCOCYE
— LCP (@LCP) June 28, 2022
Depuis quarante ans, la part des femmes dans l'Hémicycle n'avait cessé d'augmenter, d'élection en élection. Jusqu'à aujourd'hui : il n'y a plus que 215 femmes (37,26%) pour 362 hommes (62,74%), alors qu'elles représentaient 39% de la représentation nationale il y a cinq ans (224 femmes), un record historique.
"Moins de femmes élues à l'AssembleeNationale en 2022 = régression. Une femme au perchoir = une obligation!!", a tweeté l'association 2GapFrance, collectif de 61 réseaux professionnels féminins et mixtes engagés pour le partage de la décision. Une façon de rappeler que si la parité recule au sein de l'hémicycle, la nomination d'une femme présidente de l'Assemblée serait une forme de "compensation".
Moins de #femmes élues à #AssembleeNationale en 2022 = régression. Une #femme au #perchoir = une obligation!!#legislatives2022 #GrandeCause#égalité #2GAP@EmmanuelMacron @Elisabeth_Borne @Rixain @BCouillard33 @CGrandjean54 @LVichnievsky @EFolest
— 2Gap France (@2gapF) June 21, 2022
Les résultats issus des législatives 2022 ►Assemblée nationale : avec 37%, le nombre de femmes députées régresse
Depuis 1958, il n’y a eu que des hommes à la tête de l’Assemblée nationale. Si l’on remonte plus loin dans l’histoire, aucune n’a jamais officié en tant que présidente de la chambre basse. Jusqu'à ce jour, elles ont du se contenter du fauteuil de vice-présidente, on en recense 23.
Le/la président-e de l’Assemblée nationale est chargé-e de la bonne tenue des débats parlementaires et de l’ordre du jour. Il lui échoit aussi "d’ouvrir l’Assemblée nationale aux citoyens et d’assurer son rayonnement dans le monde", lit-on sur le site officiel de l’Assemblée. Première femme au perchoir, Yaël Braun-Pivet devient le quatrième personnage de l’Etat, derrière le Président, la Première ministre, et le Président du Sénat (Gérard Larcher, président du Sénat depuis 2014, ndlr). Parité respectée aux plus hautes sphères du pouvoir...
A noter aussi qu'avec elle, ce sont donc trois femmes qui se retrouvent figures de proue du second mandat Macron : Elisabeth Borne, première femme Première ministre depuis Edith Cresson (1991), et Aurore Bergé, 35 ans, présidente des députés Renaissance (ex-LREM). C'est la première fois sous la Ve République qu'une femme devient patronne du groupe majoritaire à l'Assemblée.
De là à y voir un effet "montagne de verre", comme le relève la députée sortante de la majorité Valérie Petit sur Twitter : "Ceux qui d'habitude ignorent leur talent se disent : 'On a tout essayé, faisons quelque chose qu'on n'aurait jamais imaginé, nommons une femme'. "
“Glass Cliff Effect”, l’effet “montagne de verre” désigne la surreprésentation des #femmes dans les postes de pouvoir en période de crise aigüe
— Valérie Petit (@ValeriePetit_AN) June 23, 2022
Ceux qui d’habitude ignorent leur talent se disent “On a tout essayé, faisons qqch qu’on aurait jamais imaginé : nommons 1 femme ! pic.twitter.com/IWQpGG2dI7
Yaël Braun-Pivet, 51 ans, vient d'être réélue dans la 5e circonscription des Yvelines avec 64,2% des voix. C'est au cours d'un vote interne organisé au sein des députés LREM, Modem et Horizons, qu'elle a été désignée candidate à la présidence de l'Assemblée nationale.
Après seulement un mois et cinq jours au ministère des Outre-Mer, elle doit alors quitter le gouvernement, ce qui lui a valu l'ire de plusieurs élus de ces territoires, des territoires qui ont largement voté en faveur du Rassemblement national lors des législatives.
Honorée de la confiance qui m’est accordée ce soir pour représenter notre majorité à l’élection du Président de l’@AssembleeNat. J’ai une pensée chaleureuse pour @RolandLescure et tous les candidats qui ont fait vivre ce beau moment démocratique. Au travail pour rassembler ! pic.twitter.com/LuKZCj1jxp
— Yaël BRAUN-PIVET (@YaelBRAUNPIVET) June 22, 2022
Novice en politique il y a encore cinq ans, Yaël Braun-Pivet est élue députée dans les Yvelines, en région parisienne, en 2017. Dans la foulée, elle est nommée à la tête de la Commission des Lois, l'une des huit commissions permanentes de l’Assemblée nationale. Après des débuts secoués par l'affaire Benalla, l'élue LREM se fait une place et devient peu à peu une figure incontournable du Palais Bourbon.
"J'ai tenu la barre face aux crises, du terrorisme à la pandémie", sujets au coeur de sa mission au sein de sa commission, fait-elle valoir.
Interrogée sur le sexisme en politique, voici ce qu'elle confiait en 2019 au magazine Elle : "Certains députés ont pu me dire « Ne faites pas votre maîtresse d'école », ou « Merci pour vos réflexions quasi maternelles », alors que je faisais un rappel au règlement dans le cadre de ma fonction. D'autres entrent dans mon bureau en me demandant si je suis fatiguée, si je m'en sors. Ces questions ne sont jamais posées aux hommes". "Il faut que les femmes soient partout, dans la haute administration mais aussi dans les mairies. Tout simplement parce qu'elles représentent plus de la moitié de la population. Elles doivent réussir en politique sans imiter ou s'adapter à un modèle masculin", ajoutait-elle.
Yaël Braun-Pivet a commencé sa carrière d’avocate en droit pénal au barreau de Paris, avant de rejoindre celui des Hauts-de-Seine. Cette native de Nancy met ensuite sa "vocation" entre parenthèses pour suivre son mari, cadre chez L'Oréal, sept ans à Taïwan et au Japon. Le couple a cinq enfants. De retour en France, elle s'investit aux Restos du Coeur, créant des consultations gratuites d'avocats où elle a vu "beaucoup de gens dans des situations très compliquées", et un centre d'accueil dans les Yvelines, animant "une équipe d'une centaine de bénévoles".
Son engagement politique remonte au début des années 2000 au côté du Parti socialiste. Après avoir "toujours voté socialiste", elle devient une "Macroniste" fidèle, et présente son adhésion à En Marche comme un "prolongement (...) dans l'action sans rester sur des postures en phase avec la "vision" et le "pragmatisme" d'Emmanuel Macron, comme elle le précise elle-même.
A l'été 2018, c'est la douche froide: la commission d'enquête sur l'ex-collaborateur du président Alexandre Benalla, dont elle est co-rapporteure, se voit contrainte d'abandonner ses travaux après le retrait de l'opposition. Plusieurs députés l'accusent de "protéger" l'Élysée. Elle se retrouve alors la cible de menaces antisémites et d'injures sexistes sur les réseaux sociaux.
Depuis le début des travaux conduits par la @AN_ComLois, je suis destinataire de dizaines de messages de menaces et d’injures à caractère sexiste et antisémite. Rien ne justifie une telle violence. Elle est intolérable. C’est pourquoi j’ai déposé plainte aujourd’hui. pic.twitter.com/QfQeddZ47J
— Yaël BRAUN-PIVET (@YaelBRAUNPIVET) July 30, 2018
"Depuis plusieurs jours, à l'occasion des travaux conduits par l'Assemblée nationale sur l'affaire dite Benalla, je suis destinataire d'injures, de messages abjects à caractère sexiste et antisémite, ainsi que de menaces à mon encontre et à celle de ma famille", explique alors la députée qui décide de porter plainte.
Si ses qualités humaines - "chaleureuse", "pas tordue" - sont saluées, elle se voit parfois reprocher d'être trop "sympa". "C'est pas mon truc d'être chiante et autoritaire", réplique Yaël Braun-Pivet.
Cette descendante de "l'immigration slave, juive polonaise et juive allemande, avec des grands-parents entrés en France avec des visas touristes" dans les années 1930, dit préfèrer les débats internes aux bras de fer publics.
"Mon grand-père ne savait ni lire ni écrire. Il aimait la France plus que tout, je crois qu'aujourd'hui, là où il est, il doit être terriblement fier de sa petite-fille", confiait-elle sur France Inter au lendemain de sa nomination au fauteuil de ministre, fin mai 2022.
Yaël Braun-Pivet s'est fortement engagée l'année dernière en faveur de la proposition de loi proposant d'autoriser l'euthanasie.
Son rejet en 2018 de l'inscription du droit à l'avortement dans le préambule de la Constitution l'a récemment rattrapée, suite à la remise en cause du droit à l'IVG aux Etats-Unis. "Il n'est nul besoin de brandir des peurs" en France, assurait-elle alors. En 2020, la députée faisait part sur Twitter de son attachement à l'engagement de l'avocate féministe Gisèle Halimi, l'une des porte-voix du droit à l'IVG en France.
Aujourd'hui, la majorité propose une révision constitutionnelle pour inscrire formellement ce droit. Proposition qui suscite le débat et ne fait pas l'unanimité. Voilà donc un premier dossier pour la future Présidente qui pourrait résonner fort sous la coupole de l'Assemblée nationale à l'aune de la décision de la Cour suprême américaine marquant un recul historique de ce droit des femmes. Les député-e-s ont entre leurs mains l'opportunité de faire de la France l'un des premiers pays, avec le Chili (le projet de nouvelle constitution chilienne sera soumis à un référendum le 4 septembre, ndlr), à inscrire le droit à l'avortement dans sa Constitution. La course est lancée...
Avocate, députée, militante, féministe, pionnière : Gisèle #Halimi était une femme d’exception. J’admirais le courage et la force qu’elle déployait dans tous ses combats. Honorons sa mémoire et poursuivons le chemin qu’elle a si brillamment tracé ! pic.twitter.com/fIsJmKiMiC
— Yaël BRAUN-PIVET (@YaelBRAUNPIVET) July 28, 2020