YouTubeuses féministes : la résistance s'organise !

Face aux influentes jeunes filles qui prodiguent des conseils mode ou maquillage sur le site de partage de vidéos YouTube, de nouvelles figures féminines/istes ont fait leur apparition. Drôles et audacieuses, elles utilisent Internet pour s'attaquer aux clichés et aux comportements sexistes. Florilège.

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Les YouTubeuses de " Coucou les girls ! ", de " Parlons peu, parlons cul ! " et du " Meufisme "
Les YouTubeuses de " Coucou les girls ! ", du " Meufisme "et de " Parlons peu, parlons cul ! "
©Capture d'écran de vidéos YouTube et photo du compte Facebook de "parlons peu, parlons cul !"
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En juin 2016, Mona Chollet, la féministe et auteure suisse de l’essai Beauté fatale s’est prêtée à l'expérience proposée par les journalistes de Rue 89 : visionner les vidéos des plus connues des YouTubeuses françaises qui multiplient les tutoriels, de maquillage ou de coiffure. Bilan sans surprise : « Les YouTubeuses se donnent essentiellement comme objets de regards », explique l’essayiste.

Les très populaires EnjoyPhoenix (2 millions et demi d’abonnés sur sa chaîne YouTube) ou Sananas répondent à un « code poupée » et « s’enferment dans la beauté industrielle ». Parfaitement maquillées, elles font la promotion de produits allant du rouge à lèvres aux bougies parfumées et expliquent aux femmes, apostrophées par un « Coucou les filles », comment « être belles ».
 


Depuis peu, la résistance s’organise sur la Toile avec l’apparition d’un nouveau type de YouTubeuses, féministes, drôles et bien loin des clichés.

 

 

« Coucou les girls », la parodie des YouTubeuses beauté

 

 

Vous vous souvenez peut être du morceau sorti en 2012, « Tout va de travers  » de Juliette Katz. Depuis, la chanteuse s’est convertie aux vidéos en ligne, parodiant les « tutos » beauté, tics de langage et attitudes des YouTubeuses stars. 
 
En reprenant les codes des Youtubeuses : plan serré, filmée grâce à une webcam ou un smartphone, vidéos courtes, elle réalise des « What’s in my bag ? » (qu'est-ce qu'il y a dans mon sac ?), « astuce summer » (astuces pour l'été) et va même jusqu’à aborder les conséquences du Brexit : « Comment on va faire sans Assos ? Le pont de l’Alma ça va être quoi ? Le pont de Patric Sebastien ?! Bravo. » Elle s'amuse non seulement à parodier, mais aussi à ridiculiser les YouTubeuses beauté.

Et elle prend un grand plaisir à répondre aux interviews sans sortir de son personnage : « Je suis très graine, thé détox, mais surtout concombres en ce moment. Sous toutes les formes, cru, cuit, à la vapeur. Je mange ça tout le temps et ça me fait une cure. Bon du coup, j’ai la diarrhée mais c’est bien, ça me purge un peu, c’est important », racontait-elle aux Inrocks en ce début de mois d’août 2016.
 

Le « Meufism  », la web-serie féministe qui fait un carton

La web-série créée en 2014 en est à sa troisième saison. Elle compte 208 000 abonnés sur Youtube et a reçu le prix du jury de la meilleure série humoristique au Web Program Festival de la Rochelle. A l’origine du projet : Camille Ghanassia et Sophie Garric. Ces deux trentenaires souhaitaient renforcer la présence féminine sur Youtube et ôter la connotation négative du féminisme. Au fil des épisodes, on suit Jolene dans son quotidien, qui traite de nombreux sujets, du harcèlement de rue, à l’homosexualité, en passant par la fécondité.
 
Dans la vidéo ci-dessous, les auteures inversent les clichés sexistes. 
 

La saison trois a été pensée pour être, bien évidement drôle et non conformiste, mais également plus informative que les deux premières : « Dans l’épisode 3, on parle de tous les courants féministes, dans l’épisode 4, des hommes féministes, dans l’épisode 5, des masculinistes… » raconte l’actrice principale au Huffington Post


Le Web a été une aubaine pour les réalisatrices du Meufisme : « Il y a beaucoup de scripts papiers qui auraient été refusés par un producteur lambda. On ne s’interdit rien pour l’instant. ». Mais le Web fait également un parfait terrain de jeu pour les auteurs d’insultes gratuites et de commentaires violents et sexistes. Camille Ghanassia et Sophie Garric ont été marquées par les « sales putes » ou « elle a l’air bonne mais paie ta sale gueule 9/20, même pas je l’agresse » publiés sur le forum jeuxvideos.com en 2014 et… toujours visibles sur le site. 
 

Masturbation féminine, Point G, Sextoys : « Parlons peu, parlons cul » !

Elles encouragent les femmes à parler librement de leur sexualité, sans tabou et sans sentiment de culpabilité. « Pendant des apéros entre ami(e)s ou à un repas de famille, t’as toujours un tonton ou quelqu’un pour sortir une blague de cul. Donc tu te dis : "Pourquoi on pourrait pas en rire ?" », nous explique Maud Bettina-Marie (retrouvez son interview plus bas dans cet article). Juliette « l’experte en tout » et Maud « la fille très sympa » ont publié ainsi leur première vidéo en novembre 2015. 

Et elles semblent tenir la bonne recette avec leurs 280 000 abonnés sur YouTube. En mêlant humour et conseils pratiques (« Petit tuto pour trouver le clito »), elles traitent de sujets légers comme les sextoys et les tue-l’amour, mais aussi des problèmes de société, beaucoup plus sérieux, comme le consentement mutuel, sur un ton bien à elles. 
 
Dans cet épisode sur l'endométriose, les réalisatrices font intervenir Imany (chanteuse), Natoo (humoriste et actrice) et Dr Chrys (une gynécologue). 
 

En terme d’invités, elles alternent entre professionnels de la santé, pour le côté éducatif et stars du Web, comme Norman, pour le côté humoristique.


► ​Lire notre article : L'endométriose: une maladie féminine taboue.

« Les Brutes » :  l'émission féministe québécoise

« Nous abordons des sujets qui interpellent la génération Y, en tentant le plus possible de remettre en question le patriarcat et la pensée dominante qui, dans bien des cas, sont une seule et même chose ! » racontent Judith Lussier et Lili Boisvert, créatrices de la série Les Brutes. Contrairement au « Meufisme », les vidéos sont purement informatives. Elles mettent en avant des décisions de justice, utilisent des microtrottoirs ou des chiffres officiels, pour dénoncer la censure de la nudité féminine sur Facebook, la culture du viol ou le mansplaining.

La web-série de Judith Lussier et Lili Boisver est diffusée sur Télé Québec et sur leur page Facebook qui réunit 22 600 personnes. Les deux femmes n'ont pas froid aux yeux et ont aussi su se faire remarquer en 2014, quand Lili Boisver se promenait seins nus dans les rues de Montréal pour étudier la réaction des passants et conclure que la (semi) nudité féminine ne provoquait ni agression sexuelle, ni insulte, ni masturbation en public, ni menace, ni haine.

Un homme dans un monde de femmes : « Martin, sexe faible »

Face à toutes ces femmes, un homme se démarque sur la Toile avec sa web-série « Martin, sexe faible ». L'idée de cette production est de faire évoluer un personnage masculin dans un monde où les rôles homme-femme sont inversés.
Au fil des épisodes, Martin est chosifié, harcelé et discriminé. Tout y passe : paternité, « slut shaming », sites de rencontre, séance chez le gynécologue, ...

Dans la vidéo ci-dessous, découvrez l'épisode « Entretien d'embauche ».

♦ Quelques questions à Maud Bettina-Marie de «
Parlons peu, Parlons cul ! »


Maud Bettina-Marie est comédienne et auteure. Avant de se lancer dans « Parlons peu, parlons cul ! », elle jouait le rôle de Maud dans « Bref », la série de Kyan Khojandi et Navo sur Canal+. Sur cette même chaîne, elle a également participé à l'émission le « Big Jump », écrit et créé son one-woman-show « Journal intime ».

Comment vous est venue l’idée de « Parlons peu, Parlons cul ! » ?

Maud Bettina-Marie : Après moult apéros arrosés avec Juliette, on s’est aperçues qu’on parlait beaucoup de sexualité, de manière hyper décomplexée, libre, et que c’était super marrant. On s’est dit qu’il serait intéressant de faire un programme là-dessus et que ça pourrait être l’occasion de glisser des messages positifs, de respect ou de consentement mutuel par exemple. 
Maud Bettina-Marie
Maud Bettina-Marie
Photo du compte Facebook de Maud Bettina-Marie
Pourquoi personne ne parle de sexualité de manière informative et libérée sur YouTube ?
 
M. B.-M : J’ai l’impression que parler de cul est redevenu tabou depuis la fin des années 1990, alors que ça ne l’était pas du tout dans les années 1980. C’est hypocrite, c’est un sujet tellement quotidien. Pendant des apéros entre ami(e)s ou à un repas de famille, t’as toujours un tonton ou quelqu’un pour sortir une blague de cul. Donc tu te dis : « Pourquoi on pourrait pas en rire ? »  
 
Avez vous été confrontées aux mêmes réactions ou commentaires violents que Sophie Garric (« Meufisme ») sur YouTube ou sur les forums ?  
 
M. B.-M : Oui, mais ça n’est pas très grave, on continue à faire des vidéos. De toute façon, dès que t’es une fille sur YouTube, tu te fais tacler. Même si tu racontes comment mettre du vernis. A partir de là, on s’y attendait un peu. Certaines personnes nous ont dit que c’était déplacé de parler de sexualité, qu’il fallait garder une certaine pudeur. 

Quoi de prévu pour l’avenir ?
 
M. B.-M : On prépare une nouvelle saison. Le premier épisode aura pour thème l’orientation sexuelle et sortira le 15 septembre. On garde la même formule, mais on va peut-être « feuilletonner » un peu plus l’émission, c’est-à-dire qu’on va développer nos personnages et leur vie privée pour que les épisodes se suivent un peu plus.