Fil d'Ariane
En 2010, à 32 ans, Zahia Ziouani signait l’histoire de son parcours professionnel dans un livre intitulé « La chef d’orchestre ». En riant, la maestra (son équipe la désigne ainsi avec déférence) reconnaît aujourd’hui que, si elle devait re-publier son livre, elle en féminiserait le titre « Oui, « la cheffe d’orchestre », cela me va ! »
« A la seconde où elle tourne le dos au public et lève la baguette, elle devient magique. Zahia Ziouani est l’incarnation même de la puissance, du talent et de l’énergie ». Le magazine Elle dit vrai. Ajoutons qu’elle est aussi l’incarnation de la détermination. Dans le monde de la direction d’orchestre, les femmes sont aujourd’hui moins de 4% ! Un chiffre qui se vérifie en France, mais aussi ailleurs, et qui chuterait encore si l’on s’arrêtait aux seuls orchestres symphoniques. Après la précurseuse Nadia Boulanger (qui dirigea dans les années 1930 des concerts à Paris, Londres, Boston, New York et organisa l’accompagnement musical du mariage du Prince Rainier avec Grace Kelly !), le tour est vite fait avec les Françaises Emmanuelle Haïm, Laurence Equilbey ou Nathalie Stutzmann, les Canadiennes Mélanie Léonard, Tania Miller, et la Suissesse Sylvia Caduff.
A retrouver sur ce sujet dans Terriennes :
> 'Femmes en musique' : les musiciennes québécoises se rebiffent et s’unissent
« Féminiser le nom de mon métier, est symboliquement important, mais au-delà, je réalise que ce sont les résistances auxquelles j’ai été confrontée en tant que femme qui ont fait que je me suis questionnée sur ma place dans la société et que je me suis construite.» Des résistances qui ont structuré sa carrière et ont conduit Zahia Ziouani à créer son propre orchestre symphonique quand elle avait 20 ans. 70 instrumentistes professionnel.le.s, dont les premier.e.s ont été recruté.e.s sur les bancs de la Sorbonne, l’accompagnent aujourd’hui et constituent Divertimento. Un nom joyeux, à la petite saveur mozartienne.
En classe d’orchestration au Conservatoire, la jeune femme avait déjà signé un acte de bravoure : tenir 18 mois alors que son maître adulé, le Roumain Sergiu Celibidache, l’avait prévenue : « les filles, chez moi, jettent toujours l’éponge dans les 15 jours ! »
Et aujourd’hui encore son engagement reste intact. A la musique, certes. Mais aussi à la transmission, à commencer par celle qu’elle opère dans les banlieues : « on attend de la jeunesse d’assimiler beaucoup de savoir-être pour s’intégrer dans la société, la vie professionnelle. » Les filles et les garçons qu’elle initie lui procurent un plaisir jubilatoire qu’elle leur réinsuffle, tout comme l’art de faire « de belles rencontres », d’être traversé.e « de belles émotions » en écoutant, mais surtout en pratiquant la musique.
Le dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale DEMOS, développé pour les enfants par les ministères de l’Education Nationale, de la Culture et de la Ville, lui doit beaucoup. Et le Plan « chorale » qui devrait amener des millions de collégiens français à chanter en 2019 procède du même état d’esprit.
Le week-end du 15 et 16 septembre 2018, Zahia Ziouani emballait donc des milliers de militants et de sympathisants du quotidien communiste l’Humanité, lors de la fête du même nom, rassemblement politico culturel et festif incontournable, au travers du répertoire qu’elle avait choisi, soit West Side Story, Les 7 Mercenaires, Pirates des Caraïbes et Candide, notamment.
Se jouant des frontières politiques, la veille, elle avait enchanté les jardins de l’Elysée pour les Journées européennes du Patrimoine.
Dans quelques jours, son orchestre se produira à Sevran (Nord Est de Paris). Puis au fil des semaines, au Palais Garnier et à la Seine Musicale, dans un répertoire très classique cette fois, ou encore au Théâtre du Rond-point pour un « Lenny » nourri de Bernstein.
Rien d’un éparpillement ou d’une boulimie musicale. L’éclectisme est la clé de la cheffe pour donner à aimer la musique à des publics hétérogènes.
Tout particulièrement les publics qui ressemblent à la famille algérienne dans laquelle elle a grandi. Famille modeste, mais tellement éprise de musique que sa sœur jumelle est aussi tombée dans la marmite. Elle est violoncelliste – encore un point commun avec Nadia et Lili Boulanger, autres sœurs prodiges de la musique. Les fillettes habitaient Pantin. La majorité communiste d’alors avait développé une politique d’éducation culturelle qui leur a particulièrement réussi.
Ou encore les publics des deux rives de la Méditerranée. En 2007, Zahia Ziouani devient la 1ère cheffe invitée de l’Orchestre National d’Algérie. Un sujet d’immense fierté et de belle responsabilité. En 2013, elle se produit à la tête de son orchestre symphonique à Marseille, capitale culturelle européenne. En amont et en aval, elle dirige des formations dans la capitale française (Salle Pleyel, Basilique Saint-Denis, Philharmonie de Paris, Olympia) ainsi qu’en Pologne, en Egypte, en Russie, au Mexique et ailleurs. Et souvent elle en profite pour jouer la carte du brassage des cultures : « la programmation dédiée à la Méditerranée m’a donné l’occasion de faire venir des musiciens de Chypre, de Malte, de Tunisie, d’Algérie, mais aussi des Israéliens et des Palestiniens. Oui, la musique peut contribuer modestement à bâtir la paix ! »
La notion de lien est au cœur de l’accès à la culture pour les jeunes.
Zahia Ziouani
Il faut voir Zahia Ziouani diriger la danse bacchanale, extraite du « Samson et Dalila » de Camille Saint-Saëns, un compositeur qu’elle chérit par dessus tout. Il faut aussi la regarder animer des résidences dans des maisons de quartier en banlieue parisienne: elle apprend d’abord aux collégiens, avant toutes choses, à bouger ensemble, à être au contact. « Comme le sport, la pratique musicale donne le sens de l’écoute, de l’excellence et du collectif. Le premier instrument, c’est son propre corps. Quand les jeunes deviennent des acteurs et actrices de la musique, on les amène très loin dans la confiance en soi».
La maestra aime transmettre. « Il est important de faire du lien, entre les musiques, entre les cultures, entre les disciplines artistiques » dit-elle de sa voix chaude comme un rayon de soleil.
De Mozart à Schoenberg, en passant par le jazz et l’opéra ou les musiques de films connues de tous et toutes, qui sont au cœur de plusieurs de ses prestations, elle y arrive sans peine.
Et elle aimerait tant que les responsables traversent le périphérique et viennent appréhender le travail de terrain qui s’y fait. Quelques mécènes l’ont d’ailleurs rejointe.
Zahia Ziouani élevée au rang d'Officier de l'Ordre des Arts et des Lettres, en octobre 2014
En 2014, Zahia Ziouani se voyait décerner le « Prix de la Femme d’influence ». Puis, en 2015, le « Prix de l’Audace artistique ». Elle en a intégré, depuis, le jury, aux côtés de Jamel Debbouze. Et elle a accepté de faire partie du comité d’orientation du Musée de l’Histoire de l’Immigration, haut lieu de la « nouvelle » mémoire française, celle qui vient d’inspirer au Président de la République, à la veille de la Fête de l’Huma, de reconnaître la responsabilité de l’Etat dans la torture et l’élimination du jeune mathématicien communiste Maurice Audin pendant la guerre d’Algérie.
Madame Josette Audin à la fête de L’Humanité 2018 une très grande émotion pic.twitter.com/FIccsN1YVP
— Braibant (@Braibant1) 14 septembre 2018
J-16 avant la sortie du livre "Rendre possible l'impossible" !
— KARL OLIVE (@KARLOLIVE) 4 septembre 2018
Retrouvez-y le récit du parcours de @ZahiaZIOUANI, une des rares femmes chef d’orchestre ! Sur 607 chefs d'orchestre, seulement 21 sont des femmes...#rendrepossiblelimpossible #mixité #détermination pic.twitter.com/nOu575pWLY