Fil d'Ariane
Ce sont ici plus de 200 œuvres réunies qui attestent de la volonté de documenter le combat de Zanele Muholi, un combat qu’iel mène de manière pacifiste, puisque ses armes se résument à un appareil photo et quelques pinceaux. Pour les plus dubitatifs, pour ceux qui se questionnent encore sur le pouvoir de l’art en matière de bataille, il ne reste plus qu’à vous confronter aux œuvres de Zanele. Vous avez jusqu’au 21 mai 2023 à la Maison européenne de la photographie à Paris.
Zanele Muholi se définit comme un.e "activiste visuel.le" et use de son appareil photo pour documenter (souvent), militer (aussi) et provoquer (parfois), mais n’oublie pas le caractère esthétique de l’art. "J'ai cherché un moyen d'expression artistique pour faire face aux expériences douloureuses que je vivais", explique l'artiste, qui utilise le prénom non binaire iel pour se présenter.
Très tôt, Zanele acquiert un langage revendicateur, grandissant dans un contexte qui s’y prête. Né.e en 1972 à Durban, en Afrique du Sud, elle se souvient d'une enfance rythmée par d'importantes révolutions. En 1974, l’Afrikaans Medium Decree (un décret qui impose l’afrikaans – considérée comme la langue de l’oppresseur – et l’anglais comme langues d’enseignement dans les écoles noires) mène à la sanglante révolte de Soweto, en 1976. Ellui a 18 ans quand le président FW.W de Klerk déclare la fin de l’apartheid. Les avancées s’enchainent avec l’élection de Nelson Mandela à la présidence de la république d’Afrique du Sud, premier pays au monde à interdire constitutionnellement la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.
C’est dans ce contexte militant, de luttes constantes, que l’artiste forme sa matière politique. Zanele Muholi intègre le Market Photo Worshop de Johannesburg, puis l’université Ryerson à Toronto pour parfaire sa maitrise de l’art photographique. Parce que, il est important de le souligner, ici, l’art est mis au service d’un discours engagé, il a pour volonté de faire changer les choses dans le meilleur des cas et a minima de les donner à voir.
Les commissaires d’expositions Laurie Hurwitz et Victoria Aresheva ont choisi d’offrir aux visiteurs différents aspects du travail de Zanele Muholi à travers plusieurs séries de photos. Certaines, amplement médiatisées, ont un effet de rappel ; d’autres, plus confidentielles, permettent de prendre conscience de l’étendue de l’œuvre de l’artiste sud-africain.e.
La série Only Half the Picture (2002-2006), en noir et blanc, peut paraître cathartique. Son but est d’illustrer une réalité hypocrite : la persistance des crimes haineux perpétrés à l’encontre de la communauté noire LGBTQIA+ en Afrique du Sud, alors même que le pays se targue d’être progressiste en interdisant constitutionnellement, depuis 1996, la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Une subtile démonstration des tensions encore existantes aujourd’hui. Les participant.es sont anonymisé.es pour assurer leur sécurité. On voit des corps blessés, meurtris, sensibles, traumatisés, mais toujours dignes.
Zanele Muholi souhaite faire de son travail photographique la preuve de l’existence d’une communauté : "Ma mission est de réécrire une histoire visuelle queer et trans noire de l’Afrique du Sud, pour sensibiliser le monde à notre existence au plus fort des crimes de haine dans notre pays et ailleurs", déclare l'artiste.
Sa série en couleur baptisée Being permet de montrer la tendresse des couples issus de la communauté noire LGBTQI+. Zanele s’attarde sur des moments d’intimité, toujours avec le consentement préalable des personnes de son entourage qui acceptent de poser. L’artiste cherche à éduquer nos regards pour sortir des clichés qui imposent l’hétérosexualité comme une norme, comme étant l’orientation sexuelle par défaut.
Ici, Zanele reprend de célèbres poses de clichés de modes parus en couverture de magazines prestigieux, mettant sous les projecteurs des reines de beauté d’un genre particulier. Le but est de sortir encore une fois des stéréotypes ancrés. Ces brave beauties échappent aux cultures hétéronormatives et suprémacistes blanches. Les candidat.es sont des femmes transgenres ou non-binaires, des drag queens…
"Je ne suis pas uniquement à la recherche de la beauté, je veux aussi répondre à la nécessité de documenter les réalités des personnes qui méritent d'être vues, entendues", explique l'artiste dans la vidéo diffusée dans le cadre de l'exposition.
Que les corps queers noir.es puissent s’approprier l’espace public parait très anodin au premier abord, et pourtant... Ces corps sont ici soumis aux regards de l’autre, à l’inévitable jugement, et y faire face est une manière d’imposer la fierté, une notion que l’on retrouve dans l’intégralité du travail de Zanele.
Faces and Phases (en cours depuis 2006) est certainement l'une des séries les plus émouvantes. Dans la salle du musée qui lui est consacrée, il est impossible de ne pas ressentir le poids de tout ces regards fiers, déterminés qui paraissent nous observer.
500 clichés, portraits de lesbiennes noires et de transgenres pris à différents moments de leur vies. Si les visages changent, vieillissent, si d’autres disparaissent, le décorum reste le même pour toutes ces photographies : noir et blanc en lumière naturelle, face à l’objectif. Zanele envisage son œuvre comme une archive visuelle qui attestera à jamais de l’existence de la communauté.
Somnyama Ngonyama (2012- en cours) : cette série, la plus célèbre, installée au 3ème étage du musée, est composée d’autoportraits. Zanele Muholi se met en scène dans des personnages parfois caricaturaux, pour mieux dénoncer la violence de nos systèmes oppressifs.
Beaucoup de ses portraits utilisent des objets du quotidien, tels que des éponges en inox, des pinces à linges, des tuyaux, des gants en latex… Impossible de ne pas y voir un hommage à Bester, sa mère qui travailla plus de quarante ans comme employée de maison pour une famille blanche.
Zanele joue avec les contrastes en accentuant aussi bien le noir que le blanc sur cette série de portrait, une façon très artistique de "reconquérir sa négritude".