Zar Amir Ebrahimi : "À quand une révolution des femmes en Iran ?"

Dans Les nuits de Mashhad, Zar Amir Ebrahimi est une journaliste qui n'a de cesse de percer le mystère de meurtres de prostituées dans une ville sainte. Inspiré de faits réels, ce polar qui dépeint une face interlope de la société a été primé à Cannes, mais interdit dans la République islamique. L'actrice iranienne exilée en France compte sur les femmes et les jeunes pour changer son pays.
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Zar Amir-Ebrahimi à Cannes
De gauche à droite, l'équipe du film Les nuits de Mashhad : le producteur Sol Bondy, Zar Amir-Ebrahimi, le réalisateur Ali Abbasi et Mehdi Bajestani posent au 75e festival de Cannes, le 22 mai 2022.
 
©AP Photo/Petros Giannakouris
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Loin du cinéma iranien auquel le public est habitué, Les nuits de Mashhad, du réalisateur en exil Ali Abbasi, ne fait pas dans l'ellipse ni la métaphore : les homicides se font face caméra et le public est confronté sans filtre à la violence systémique qui s'exerce contre les femmes. 

Je pense que montrer cette violence-là est nécessaire.
Zar Amir Ebrahimi, actrice

Dans ce film, qui sort ce 13 juillet 2022 en France, Zar Amir Ebrahimi incarne une journaliste pugnace qui veut à tout prix démasquer le tueur en série de plusieurs prostituées. Des crimes qui n'émeuvent ni la population ni les autorités iraniennes. Le film, inspiré de faits réels, retrace le parcours de l'assassin de 16 prostituées. Lors de son procès, l'homme a dit avoir voulu nettoyer du vice les rues de Mashhad, l'une des principales villes saintes du chiisme en Iran.

Les nuits de Mashad : un film "qui montre la réalité"

Un tueur de prostituées, "nettoyant" au nom de Dieu les bas-fonds de l'une des villes les plus sacrées d'Iran, sous les applaudissements de la population : le réalisateur Ali Abbasi dévoile une autre République islamique dans Les nuits de Mashhad. "L'Araignée", le surnom du tueur au double visage, père de famille pieux et rangé le jour, psychopathe la nuit, rôde à moto dans les rues interlopes d'une ville aux airs de Sin City, où prostitution et drogue prospèrent, d'autant qu'elle est située sur d'importantes routes de trafic en provenance d'Afghanistan.

Les prostituées qui montent avec lui finissent le plus souvent étranglées. Après avoir abandonné leur corps sur le bord de la route, il appelle un journaliste, toujours le même, pour revendiquer son crime. La police ne semble pas pressée de l'arrêter jusqu'à ce qu'une journaliste venue de Téhéran se mette en tête de traquer elle-même le criminel et de le faire payer pour ses meurtres.

Si quelqu'un a un problème avec le film, il a un problème avec la réalité, pas avec moi.
Ali Abbasi, réalisateur de Les nuits de Mashad

L'Iran avait protesté contre la sélection en compétition à Cannes de ce film "complètement politique" et qui vise à "montrer une mauvaise image de la société iranienne". De fait, ce polar est "l'un des rares films (iraniens, ndlr) qui montre la réalité", déclarait le réalisateur Ali Abbasi. "Je n'ai pas l'impression que ce soit un film anti-gouvernemental ou un film d'activiste. Ce qu'il décrit n'est pas loin de la vérité, et si quelqu'un a un problème" avec le film, qui montre crûment sexe et drogue, ainsi que la misogynie de la société, "il a un problème avec la réalité, pas avec moi", expliquait le réalisateur.
 

Zar Amir Ebrahimi : une vie brisée

Son rôle dans Les nuits de Mashhad, Zar Amir Ebrahimi raconte qu'il "existait" en elle. Comme cette journaliste qui évolue dans un environnement hostile où harcèlement et agressions sexuelles sont de mise, la comédienne a vécu les conséquences d'une société patriarcale. Elle dont la vie et la carrière ont volé en éclats du jour au lendemain lors de la diffusion d'une vidéo volée, diffusée sans son consentement par un ami de son ex-compagnon. "Se regarder dans un miroir, c'est pas facile, on n'a pas envie, on préfère de ne pas voir la réalité. Moi je pense que montrer cette violence-là est nécessaire", observe-t-elle. Son intimité exposée aux yeux de tous dans l'un des pays les plus conservateurs au monde, elle finira pas quitter son pays, que l'onde de choc du scandale lui rendait invivable. 

Primée en mai 2022 à Cannes, elle confie son espoir d'une "révolution des femmes" en Iran. "Je suis en train de vivre une folie (...) Je n'ai pas encore compris ce qui se passe" disait-elle un mois après avoir remporté le prestigieux prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes. L'actrice de 41 ans, qui vit à Paris, expliquait ne "s'être toujours pas réveillée de (s)on rêve".

La difficulté de se réinventer

Le scandale sera tel que même amis et collègues lui tournent le dos. Poursuivie en justice, humiliée, elle finit par quitter l'Iran pour Paris, où elle arrive en 2008, complètement "traumatisée". Mais voilà, actrice reconnue en Iran, elle reste inconnue en France. "Tu arrives quelque part, tu peux pas comprendre la langue. J'étais dans le métro, je comprenais rien. Pendant douze ans, c'était comme ça", se remémore-t-elle. A défaut de pouvoir jouer, Zar Amir Ebrahimi se réinvente en directrice de casting.

Pourtant, ce n'est pas une femme brisée que l'AFP a rencontrée. A nos confrères, l'actrice a accordé un entretien en français, langue qu'elle parle désormais couramment. Frêle, la voix hésitante, elle dégage force et détermination. C'est cette résilience, aussi, que le jury du Festival de Cannes a voulu saluer en lui décernant le prix d’interprétation féminine.

On est tous victimes d'une tradition, d'une société religieuse.
Zar Amir Ebrahimi

La jeunesse et les femmes : l'espoir

Son parcours, "fait d'humiliations" avait-elle dit à Cannes, ne l'a pas rendu amère. "J'ai rien contre les Iraniens, même contre la société qui m'a détruite, dit-elle. J'ai tout de suite commencé à comprendre qu'on est tous des victimes. On est tous victimes d'une tradition, d'une société religieuse... Tout a basculé avec la révolution (de 1979, qui a chassé le chah et transformé le pays en république islamique, ndlr), on a tout perdu".

C'est la jeunesse du pays qui lui permet de croire au changement : "Nous, à notre époque, on n'avait vraiment pas ce courage d'enlever notre voile dans la rue. Mais là, je vois que ça change, assure-t-elle, tout en disant espérer une révolution des femmes". Elle poursuit : "Je pense qu'il y a tellement de pression sur nous qu'à un moment ça explose".

L'actrice mène également un combat dans son pays d'adoption : s'imposer comme actrice. A l'image de celle qu'elle appelle sa "soeur", Golshifteh Farahani. Une autre actrice exilée d'Iran, qui est parvenue à tourner à Hollywood et se faire un nom dans le cinéma français d'auteur. "Elle est vraiment un modèle pour moi", souligne celle qui déplore que le cinéma tricolore la perçoive comme "une réfugiée et pas comme une actrice tout court". Elle espère que son prix d'interprétation à Cannes changera la donne, "mais pour l'instant je n'ai reçu qu'une proposition de tournage."