Zari vient de rejoindre le Sesame Street Muppet, l'une des séries destinées aux enfants les plus célèbres à travers le monde. Avec cette triple originalité : elle est voilée (pas toujours), afghane, et féministe.
Elle a la peau violette, le bout du nez orange et les cheveux multicolores recouvert d'un voile. Pas étonnant, quand on sait que son prénom Zari (ou Zaria), signifie "chatoyante" en pachto et dari, les deux langues officielles d'Afghanistan. Elle avait déjà six ans quand elle est née, et le volleyball ou le cricket ne recelaient aucun secret pour elle. Elle est polie et espiègle, et elle est afghane. La dernière née des marionnettes de la série américaine (et internationale)
Sesame Street s'est donnée pour mission d'amener les petites Afghanes à fréquenter assidûment les bancs de l'école et à se projeter dans une carrière professionnelle.
Un défi difficile dans un pays qui reste, au delà des villes, organisé selon des traditions qui maintiennent les femmes à la maison avec pour seul horizon le mariage et la procréation. Pour donner le plus de chances possibles à Zari, ses concepteurs ont travaillé avec le ministère de l'Education à Kaboul afin que la poupée animée ne heurte pas les sensibilités.
Zari lancée comme une star
Zari a eu des débuts de rock star, marrainée par la comédienne oscarisée Meryl Streep ou la "first Lady" afghane, Mme Rula Ghani. On la voit ici avec la journaliste vedette américaine et féministe Tina Brown, ou avec la top modèle et écrivaine Alek Wek au "
sommet des femmes" de New York, le 7 avril 2016, juste avant de prendre ses fonctions… Echange savoureux entre la mannequin et la petite fille toute étonnée que l'Américaine connaisse la réponse à son "
Assalamu alaykoum" - "
Wa alaykum assalam"…
Elle a fait son entrée le jeudi 7 avril 2016, dans le show de la branche afghane de cette multinationale de l'animation, appelée en Afghanistan Baghch-e-Simsim, c'est à dire "le jardin de Sesame". Le succès de cette entreprise tient, entre autres, dans sa capacité à adapter ses "muppets" et ses scénarios aux us et coutumes des régions où elle s'installe : séduire, surtout pas heurter. Expériences couronnées de succès en Inde, au Bangla Desh, en Egypte, par exemple, mais qui entraînent parfois la critique d'ethniciser les jouets sur un mode politiquement correct.
Toutes les petites filles d'Afghanistan pourront se reconnaître dans Zari
Clemence Quint, Lapis Communications
Les créateurs assument leur choix : Zari est l'un des seuls personnages de Sesame Street à être "genrée", la plupart des membres de cette galerie de créatures n'étant pas dotés de sexe défini. La marionnette est fabriquée aux Etats-Unis mais est habillée en "made in Afghanistan" ou plutôt déclinée à la mode des principales et très différentes ethnies qui composent le pays - pashtounes, tadjik, ouzbeks et hasards. "Toutes les petites filles de ce pays pourront se reconnaître dans Zari", explique Clemence Quint, la directrice de "Lapis Communications", partenaire afghan du Sesame Street Workshop. "Cette année, nous insistons sur l'autonomisation et l'éducation des filles à travers la série, et avoir créé ce personnage féminin en est un élément clé." Les jeunes Afghans semblent fans de la série. D'après les programmateurs 86% des 3-8 ans le citent parmi leurs programmes favoris. Une série qui est diffusée bien au delà des villes, par un autre biais, celui de la radio.
Zari est double. D'un côté elle apparaît seule et n'en fait qu'à sa tête, de l'autre, elle interviewe des personnalités sur des sujets aussi sérieux que l'éducation, la santé et le sport. Mais avec malice et humour.
Mansoora Shirzad a donné sa voix et donc vie à Zari, ce qui la remplit de joie. Agée de 20 ans, la jeune comédienne la trouve tellement mignonne, qu'elle est certaine "
qu'elle aura un impact positif sur les enfants". Et elle conclut en prenant la voix de son personnage : "
Je suis très heureuse de me trouver en Afghanistan. C'est un très bon endroit, je me suis fais plein d'amis comme Baghch-e-Simsim avec qui je m'amuse beaucoup".
Zari n'est pas la première créature sortie de l'imagination, à tenter via la fiction à bousculer les rôles sexuels là où ils semblent figés : on se souvient de Jiya, héroïne de dessin animé, qui au Pakistan voisin, institutrice le jour, enfilait une burqa la nuit pour se venger de ceux qui essayent d'empêcher les filles d'étudier. Mais la "
burqa avenger" était loin de faire l'unanimité...
Pour Zari, dans ce pays, l'Afghanistan ravagé par les conflits, passé de joug en joug, où l'on est dans certains endroits tuée juste parce qu'on veut aller à l'école, on espère juste que les Talibans, qui viennent d'annoncer dans un communiqué en date du 12 avril 2016 leur intention de "
lancer leur 'offensive de printemps' contre des positions ennemies dans tout le pays", les laisseront en vie, la poupée comme son incarnation vocale…