Zéro cliché : "Une fille peut être bagarreuse, et un garçon calme !"

Voilà un concours où chaque élève mérite 20 sur 20. Affiches, articles, podcasts... Ici pas question de donner de mauvaises notes, sauf aux stéréotypes sexistes qui gangrènent, encore, notre société. Pour sa 11ème édition, le concours Zéro cliché du CLEMI a enregistré un record avec 6000 participants. 

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Concours zéro cliché

Les gagnants de la 11e édition du concours Zéro cliché organisé par le CLEMI dans les établissements scolaires français, le 12 juin à Paris. 

©CLEMI
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"On a débattu pour savoir si on pouvait intervertir les adjectifs choisis pour Jules et Sarah. Par exemple : Jules est bagarreur, Sarah est calme. On a discuté entre nous et on en a conclu qu'un garçon pouvait être calme et une fille bagarreuse", lance depuis la scène la jeune élève de l'école élémentaire de Brie-sous-Archiac, dans l'académie de Poitiers, qui a gagné le Grand prix du concours Zéro cliché 2023 organisé par le CLEMI.

Ils ont entre 5 et 17 ans, et ce genre de stéréotypes, ils ont décidé de leur mettre un zéro pointé. Comment ? En se servant d'armes toutes simples, comme les futur.e.s journalistes qu'elles et ils deviendront peut-être un jour : un ordinateur, un smartphone, ou encore plus accessibles, un stylo, des feutres et des feuilles de papier. 

Ecole élémentaire

Affiche réalisée par les élèves de l'école élémentaire de Brie-sous-Archiac (17 - Académie de Poitiers), Grand Prix "école" du concours Zéro Cliché 2023.

DR

Avec plus de 6 700 élèves et 710 productions, cette 11e édition bat un record de participation. Après une présélection, dix productions dans chacune des catégories "école", "collège" et "lycée" se sont retrouvées en lice. Après délibération, les membres du jury - journalistes, professionnels de l’éducation, représentants d’institutions et d’associations - ont décerné trois grands prix et trois coups de cœur, ainsi que quatre mentions spéciales. 

A l'heure où la désinformation, la violence et la haine passent par l'intimité de nos écrans, votre travail de transmission est essentiel. Isabelle Rome, ministre à l'Egalité et à la Diversité

La cérémonie de remise des prix avait lieu ce 13 juin à Paris - en présence de la ministre à l'Egalité Isabelle Rome (et de Terriennes, partenaire de cet évènement). La ministre a tenu à remercier les enseignants qui ont accompagné les équipes, "car vous aidez à bâtir cette société plus juste, vous contribuez à favoriser l'esprit critique de notre jeunesse". "A l'heure où la désinformation, la violence et la haine passent par l'intimité de nos écrans, votre travail de transmission est essentiel", a-t-elle ajouté.  

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À coups de crayon et de podcast, les choses bougent

Alors est-ce-que les mentalités bougent chez les plus jeunes ? "C'est un sujet qui touche encore surtout les filles, et pas assez les garçons", regrette Christelle Grobon, conseillère principale d'éducation au lycée Galilée à Cergy, en banlieue parisienne, qui a remporté le Grand Prix Lycée. "Une partie des élèves est très motivée et il y a une autre partie qui est assez loin de ces questions. C'est assez extrême, il y a comme une césure. Certains vont être dérangés et posent des questions du genre 'mais la journée des femmes, c'était hier, pourquoi on continue aujourd'hui ?'", constate l'enseignante. 

On voit que les filles, comme les garçons sont plus libres pour s'exprimer sur ces questions. Virginie Sassoon, directrice adjointe du CLEMI

Pour Virginie Sassoon, directrice adjointe du CLEMI, "on assiste à une évolution sur certains thèmes, par exemple sur la publicité. Quand je suis arrivée au CLEMI, en 2016, il y avait énormément de productions sur la publicité ; il y en a beaucoup moins aujourd'hui. Il y a des choses qui évoluent, comme dans la société, il y a une prise de conscience dans la publicité, dans les médias ; il y a une attention accrue face aux stéréotypes". "Et puis il y a des choses qui sont apparues ces trois dernières années, comme la précarité menstruelle. On voit que les filles comme les garçons sont plus libres de s'exprimer sur ces questions", ajoute-t-elle, le ton optimiste.

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Néammoins, déplore malgré tout la militante, d'autres thématiques restent encore peu abordées "comme la question des violences, des violences symboliques, qui sont dans les interstices de la vie quotidienne et qui sont plus difficiles à identifier".

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Un podcast sur le viol

Et pourtant, signe d'une prise de conscience, et surtout de grand courage, certains participants ont osé s'attaquer à un sujet comme celui du viol. Ce podcast réalisé par plusieurs élèves du lycée de Briançon a reçu le coup de coeur du jury.

'Elle s'est fait violer'. Et bien non, on se fait coiffer, maquiller, mais on ne se fait pas violer. Béatrice Denaes, journaliste et membre du jury Zéro cliché

Béatrice Denaes, journaliste et membre du jury, a tenu à saluer le courage de ces élèves. "C'est un sujet qui n'est pas facile, qui peut impressionner et qui peut être mal traité aussi. Leur idée a été d'interroger leurs camarades sur ce qu'est un viol, sur sa définition, et sur le nombre de viols chaque année. On se rend compte que certains n'ont pas conscience de l'ampleur du phénomène".

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Ces élèves se sont aussi questionnés sur les mots utilisés pour parler du viol : "Sur le vocabulaire, ils ont fait toute une partie sur le fait qu'on ne dit pas 'elle s'est fait violer'. Il y a encore beaucoup d'adultes, et ça je l'ai connu lorsque j''étais médiatrice sur les antennes de Radio France, des journalistes qui disaient encore 'Elle s'est fait violer'. Et bien non, on se fait coiffer, maquiller, mais on ne se fait pas violer... Cela montre que ces lycéennes ont vraiment été sensibilisées à toutes ces réalités, ce qui est vraiment une réussite". 

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Une prise de conscience de plus en plus large, mais... 

"Je pense que c'est la manière dont les femmes sont traitées dans la société, la façon dont elles sont assignées à une place, dans une case, qui choque le plus." nous confie Christelle Grobon. 

En 2023, on en est encore là, se disent les jeunes. Christelle Grobon, CPE lycée Galilée à Cergy

"En 2023, on en est encore là, se disent les jeunes. Même dans certaines familles, qui ont des idées très progressistes, quand il s'agit d'orientation, il y a des freins", précise-t-elle. 

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  • À écouter "le rap des CP" prix coup du coeur du jury sur le site du CLEMI : "Il y a des a priori, on veut nous mettre dans des cases, mais on est pas d'accord !"

La manière dont les enfants se projettent dans l'avenir reste un des chantiers à mener, selon Virginie Sassoon : "Il y a un énorme travail à faire sur les filles, qui se sentent moins à l'aise avec les disciplines scientifiques, ce qui aboutit à de vraies différences sur les orientations professionnelles, cela reste un défi". 

Le sport reste aussi un motif de préoccupation, comme nous le rapporte encore la directrice adjointe du CLEMI. "Même en maternelle, dans les toutes petites classes, l'accès à certains sports, leur pratique, reste inégalitaire. Certains garçons qui veulent faire de la danse peuvent faire l'objet de moqueries, quand les petites filles qui veulent jouer au ballon peuvent être exclues de certains groupes. C'est quelque chose de profondément ancré", regrette-t-elle. 

Charge mentale, quand tu nous tiens

"Sur les tâches ménagères, par exemple, les filles comme les garçons ne trouvent pas ça normal", constate Christelle Grobon. Tout comme Virginie Sassoon : "Dans les familles, ils peuvent constater qu'il y a encore énormément d'inégalités dans la répartition des tâches entre ce que fait leur mère ou leur père. Cette structure sociale, on voit qu'elle a moins d'écho dans les médias. Les marques de produit ménager font attention à diversifier les rôles etc. Progressivement, on voit que les choses changent, mais que ça prend énormément de temps". 

Cette éducation à questionner, à déconstruire les stéréotypes, que ce soit dans dix ans, dans vingt ans et plus, elle aura toujours du sens, parce qu'il faut jamais rien lâcher ! Dès qu'on lâche, ça peut revenir. Virginie Sassoon

Le concours Zéro cliché célèbre ses onze ans, peut-on imaginer qu'il n'ait plus lieu d'exister un jour ? Pour Virginie Sassoon, la vigilance reste de mise. Selon elle, "Il  y aura toujours besoin de s'interroger sur ce qui fait que parfois on va cataloguer, exercer un rapport de domination. Cette éducation à questionner, à déconstruire les stéréotypes, que ce soit dans dix ans, dans vingt ans et plus, elle aura toujours du sens parce qu'il faut jamais rien lâcher ! Dès qu'on lâche, ça peut revenir, on voit que des forces contraires peuvent reprendre le dessus. Il ne faut pas le faire de façon moralisatrice, il faut le faire ensemble, filles et garçons, pour faire société, il faut se préoccuper de ce qui, dans un préjugé, va perpétrer les inégalités."

"Paradoxalement, le numérique nous connecte, mais il nous rend de plus en plus seul face à des informations qu'il faut trier, et qui appellent à un raisonnement critique, c'est tout l'enjeu de notre culture de l'égalité", lançait au début de la cérémonie la ministre Isabelle Rome, adressant un message aux élèves du concours : "Chers enfants, continuez, votre message. Il faut le porter, partout, autour de vous, chez vous, dans vos familles".

J'ai des élèves qui sont venues me dire 'moi, je ne veux pas la vie de ma mère, je veux être une femme libre !' Christelle Grobon

Les graines de l'égalité, on ne peut que l'espérer, sont d'ores et déjà semées car les enfants d'aujourd'hui sont les adultes de demain. Comme l'illustre ce témoignage recueilli dans les couloirs de son lycée par Christelle Grobon, "J'ai des élèves qui sont venues me dire 'moi, je ne veux pas la vie de ma mère, je veux être une femme libre !"

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