Ukraine : le maire d'Energodar s'inquiète de la situation dans la centrale nucléaire de Zaporijjia

Entretien. Le maire d'Energodar Dmitry Orlov, 37 ans, est constamment sur le qui-vive, accroché à son téléphone. Comme beaucoup de ses administrés, il a dû fuir sa ville où se situe la plus grande centrale nucléaire d'Europe, occupée par les Russes. Il brosse un tableau inquiétant de la situation du personnel ukrainien sur place et des habitants sous l'occupation russe.
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energodar centrale
(AP Photo)
Un soldat russe monte la garde dans la centrale nucléaire de Zaporijjia, située dans la localité d'Energodar, 1er mai 2022. 
©Romain Sinnes
Dmitry Orlov, 37 ans, maire d'Energodar réfugié à Zaporijjia, Ukraine, 9 septembre 2022.
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Vendredi 9 septembre, depuis Zaporijjia où il s'est réfugié, dans les locaux de l’Université nationale transformés en centre d’aide humanitaire pour ses administrés, le charismatique maire d'Energodar Dmitry Orlov, 37 ans, raconte la situation dans sa localité où se trouve la plus grande centrale nucléaire d'Europe occupée depuis début mars par les Russes. 

TV5MONDE : (Le maire vient de raccrocher son téléphone et se met dans la foulée à écrire un message). Quelles sont les dernières nouvelles en provenance de la ville ?

Dmitry Orlov, maire d'Energodar : Les dernières nouvelles ne sont pas très bonnes. Il n’y a plus d’eau, de gaz ni d’électricité depuis trois jours dans l’ensemble du district. Le courant peut être restauré une dizaine de minutes, comme ce fut le cas durant la nuit d’hier, avant d’être à nouveau coupé. J’espère que nous pourrons remédier à cela rapidement. Et même si nous y parvenons, cela pourrait se reproduire. Nous entrons dans une crise humanitaire. Il y a des bombardements en permanence dans la ville.

Quand les Russes sont arrivés, ils ont commencé à torturer les gens ayant participé à ces manifestations. Ils étaient torturés jusqu’à ce qu’ils donnent cinq autres noms de personnes ayant pris part aux contestations ou ayant des vues pro-ukrainiennes.

Dmitry Orlov, maire d'Energodar

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TV5MONDE : Quelle est l’atmosphère dans la ville ?

Dmitry Orlov : Avant que la ville ne soit évacuée, environ 10.000 personnes se sont rassemblées dans la rue pour manifester contre la Russie. Quand les Russes sont arrivés, ils ont commencé à torturer les gens ayant participé à ces manifestations. Ils étaient torturés jusqu’à ce qu’ils donnent cinq autres noms de personnes ayant pris part aux contestations ou ayant des vues pro-ukrainiennes. Depuis le début de l’occupation, environ 1.000 personnes ont subi des sévices. Certains d’entre eux ont fui par peur, d’autres sont restés.

carte Ukraine guerre 12 septembre
©TV5MONDE

TV5MONDE : Savez-vous combien de personnes ont évacué la ville ? Quelles sont les raisons qui poussent les autres à rester ?

Dmitry Orlov : Entre 20.000 et 25.000 personnes y résident encore contre près de 53.000 avant l’occupation. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les habitants ne quittent pas la ville. Certains n’ont tout simplement aucun moyen de s’en aller.

Aussi, près de 11.000 personnes travaillaient au sein de la centrale avant l’occupation. Beaucoup d’entre elles exercent désormais à distance. Mais il y a des tâches qui ne peuvent pas être effectuées ailleurs que directement sur le site. Si ces employés s’en vont, personne ne sera capable de les remplacer. Alors ils évacuent leurs familles et leurs proches et continuent d’aller travailler pour s’assurer du bon fonctionnement de la centrale. Ces gens sont des héros de par leur dévouement pour assurer la stabilité de la situation et continuer à faire fonctionner le site.

En plaçant ces équipements militaires sur le site, à proximité des turbines, les Russes enfreignent toutes les règles

Dmitry Orlov, maire d'Energodar

TV5MONDE : Disposez-vous d’informations sur les conditions d’exercice à l’intérieur de la centrale ?

Dmitry Orlov : Je suis en contact avec des employés de la centrale et ils me rapportent des bombardements, constamment. La centrale nucléaire d’Energodar n’est pas une infrastructure militaire mais civile, tout le monde le sait. En plaçant ces équipements militaires sur le site, à proximité des turbines, les Russes enfreignent toutes les règles. Je sais également que des travailleurs sont torturés, parfois à l’aide d’électricité. D’autres sont enfermés dans des bunkers et questionnés. Certains ont déjà été torturés à mort, à même le site.

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TV5MONDE : De quelle façon fonctionnait le site avant d’être occupé par les Russes ?

Dmitry Orlov : Les 11.000 salariés étaient répartis dans plusieurs départements. Par exemple, 2.000 d’entre eux assuraient la maintenance et les travaux de réparation du site, un millier était affecté à la construction et 700 aux situations d’urgence. Parmi ces derniers, il en reste 500 et ils n’ont pas d’autres choix que de de travailler sur site. Un chirurgien ne peut pas opérer un corps à distance, c’est impossible. Il en va de même pour ces employés.

Il y avait trois cycles de rotation, de 7h à 15h, de 15h à 23h et de 23h à 7h. Cinq personnes occupant le même poste, au minimum, sont nécessaires pour assurer le bon déroulement des opérations, de sorte à ce qu’il y ait toujours quelqu’un de disponible en cas d’arrêt maladie ou lors des périodes de vacances. Désormais, étant donné que beaucoup ont fui ou ont été torturés, il n’y a parfois que quatre employés pour le même poste. Plus personne ne peut se permettre de tomber malade ou de prendre des congés. C’est un problème majeur.

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TV5MONDE : Quelles sont les relations entre le personnel de la centrale et les Russes qui l’occupent ?

Dmitry Orlov : Les Russes et les représentants de Rosatom (ndlr : l’Agence fédérale de l’énergie atomique russe) ne font majoritairement que des observations techniques. Mais les relations avec nos employés sont extrêmement tendues. Un jour, tout peut se passer correctement. Mais lorsqu’ils reviennent le lendemain, les membres du personnel apprennent que l’un de leurs collègues a été torturé. Et ils doivent malgré tout continuer à travailler en sachant cela. Il est arrivé par exemple que les Russes fouillent le téléphone d’un employé et qu’ils y découvrent des photos où cette personne prenait part à des manifestation pro-ukrainiennes. Ils ont alors saisi sa voiture, l’ont fait prisonnier, l’ont torturé, et personne ne sait ce qu’il est devenu.

carte Ukraine Energodar
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TV5MONDE : La situation pourrait à terme devenir intenable et conduire à la catastrophe.

Dmitry Orlov : Le terme de catastrophe est un grand mot mais il existe clairement des risques. Le facteur humain, surtout, est important, notamment pour les personnes occupant des postes à responsabilité et qui sont garantes de la sécurité. Avant, elles étaient pleinement focalisées sur leur travail. Avec la guerre, l’attention mondiale, les bombardements, les casse-têtes familiaux, elles ne peuvent plus être aussi concernées. Donc, tout peut arriver.

D’autant que ces derniers temps, les unités de la centrale sont successivement arrêtées puis relancées. Il y a une procédure à suivre dans ces circonstances. Pour le moment, les réactions sont bonnes et immédiates. Mais compte tenu de la fréquence de ces coupures, personne ne peut prédire ce qu’il va se passer.

Nous disposons aussi d’outils qui mesurent les taux de radiation dans un rayon de 30 km. Si quelque chose venait à arriver, le monde le saurait immédiatement.

Dmitry Orlov, maire d'Energodar

TV5MONDE : Un plan d’urgence et d’évacuation a-t-il été établi en cas d’incident nucléaire ?

Dmitry Orlov : Il existe un plan d’urgence qui concerne les régions attenantes de Zaporijjia, à savoir Dnipropetrovsk et Kherson, mais qui s’applique également partout en Ukraine. En cas d’incident, différentes stratégies ont été élaborées pour s’adapter en fonction du vent. Si les taux de radiation dépassent les seuils, alors les gens seront évacués notamment ceux situés dans un rayon de 52 km.

Au sein de la ville, nous avons un centre chargé de mesurer la qualité de l’eau, de l’air, le niveau de radiation. A leur arrivée, les Russes se sont emparés des équipements transportables, exceptés ceux indiquant les niveaux de radioactivité qui ne peuvent pas être déplacés. Je reçois les taux toutes les deux heures sur mon téléphone. Ces six derniers mois, ils sont restés dans la norme. Nous disposons aussi d’outils qui mesurent les taux de radiation dans un rayon de 30 km. Si quelque chose venait à arriver, le monde le saurait immédiatement.